LUI: C'est
pas vrai, on avance pas ! Je te parie, qu'à tous les coups c'est un
accident !
ELLE: T'énerve
pas, mon chéri, on n'est pas pressés. Mais, où tu vas, Jeannot ?
LUI: Je
vais me dégourdir un peu les jambes. De toute façon, on est bloqués...
ELLE: Attends
un peu, ça va bientôt se décoincer
LUI: Ça
métonnerait. À mon avis, y en a pour la journée. Tiens, qu'est-ce que je te
disais ? J'entends la sirène des pompiers. Ça doit être à hauteur du feu
rouge. Ça cartonne souvent par ici. Allez viens, on va jeter un œil.
ELLE: Mais,
qu'est-ce que tu fais avec ton portable ?
LUI: Je
filme, la bonne blague. On postera ça sur l'internet, on va faire le
buzz !
ELLE: Ça
va pas non ? Tu trouves pas ça un peu morbide !?
LUI: Au
moins, on sera pas venus pour rien. Allons, suis-moi !
ELLE: Enfin,
Jeannot, ça se fait pas, c'est pas correct
LUI: C'est
pas correct, non plus, de nous faire chier un jour pareil. Il aurait pu
cartonner ailleurs, cet abruti ! Notre premier jour de vacances, ça
commence mal.
ELLE: Ça,
je t'avais dis qu'on aurait dû partir plus tard. À cette heure-ci, y a toujours
plein de monde sur les routes.
LUI: Un
accident, par définition, on peut pas prévoir... Bon, tu viens ou quoi ?
ELLE: J'arrive,
j'arrive... mais, range ce portable, s'il te plait !
LUI: Certainement
pas, je veux pas en louper une miette. Regarde, c'est là-bas, on y est presque.
Allez, Corinne, dépêche-toi !
ELLE: En
tous cas, j'aime pas ça, moi, de jouer les vautours.
LUI: Évidemment,
on y voit rien avec tous ces curieux. Ça, dès qu'il y a un carton, les gens, il
faut qu'ils s'agglutinent. C'est fou, hein !
ELLE: Je
te signale que c'est, aussi, ce qu'on est en train de faire !
LUI: Moi,
c'est pas pareil, je filme. C'est une sorte de reportage.
ELLE: Y
a des professionnels, pour ça. D'ailleurs, c'est pas la camionnette de France 2
qui est là-bas ?
LUI: Tu
penses, ils veulent surtout pas louper ça. Faut dire que pour du carton, c'est
du beau carton. Surement, le plus gros de l'année. Regarde moi toutes ces
bagnoles défoncées. Quel carnage !
ELLE: C'est
pas beau à voir, en effet. Mais, range ton téléphone, Jeannot !
LUI: Le
chauffard qui a provoqué tout ça doit être dans un bel état, j'espère qu'il a
une bonne assurance, ça va lui coûter bonbon. Viens, on va voir à quoi il
ressemble. Avance, Corinne, on y est presque !
ELLE: Marche
moins vite, j'arrive pas à te suivre
LUI: Et
pourquoi t'as mis des talons, aussi ? Enlève tes godasses, ça ira plus
vite. Presse-toi, je voudrais arriver avant la télé
ELLE: Pfftt,
ce que tu es pénible, alors. Aïe !
LUI: Qu'est-ce
qu'il y a ?
ELLE: C'est
pas facile de courir pieds nus... attends-moi !
LUI: Oh
purée, la voilà la bagnole. Enfin, ce qu'il en reste. Tu vois le
chauffeur ?
ELLE: Entre
les flics et les pompiers, c'est pas facile. Tu vois bien qu'ils bloquent
l'accès.
LUI: Attends,
je vais me faufiler en douce.
ELLE: Mais
ne filme pas, voyons. Je trouve ça malsain. Et puis c'est interdit. Y en a qui
ont eu des PV pour moins que ça !
LUI: Ce
qui est interdit, c'est de se faire gauler. Tais-toi et personne n'en saura
rien
ELLE: S'il
te plait, mon chéri, range ce téléphone, ça me plait pas ce que tu fais !
LUI: Pas
question. En plus, y a le caméraman de France 2, juste derrière, je vais le
griller au poteau. Tu seras bien contente si on a des milliers de vues.
ELLE: Certainement
pas !
LUI: Regarde,
on voit ses pieds. Pauvre type, il a dû griller le feu rouge, voilà ce qui
arrive quand on regarde pas la route. Il est complètement encastré dans sa
voiture. Les pompiers vont s'amuser pour le sortir de là.
ELLE: Reste-là,
Jeannot ! De toute façon, les policiers t'empêcheront de passer.
LUI: Tu
parles, ils ont autre chose à foutre. Mais, reste ici, je me ferais moins
repérer.
ELLE: Alors,
file-moi ton portable !
LUI: Tu
plaisantes, je tiens le scoop, là ! Un direct live, je vais en récolter
des likes ! Ça y est, ils ont découpé la carrosserie, ils vont retirer le
cadavre.
ELLE: Holà,
pas trop vite, qu'est-ce qui te dit qu'il est mort ?
LUI: Vu
l'état de sa caisse, ce serait bien un miracle qu'il s'en soit sorti. Oh,
merde, y a sa bonne femme dans le fossé, elle a dû être éjectée. T'imagines la
violence du choc ?
ELLE: Pour
la dernière fois, arrête avec ce téléphone.
LUI: Attends,
je filme sa tronche et j'éteins, promis ! Tiens, voilà les ambulanciers,
ils vont le mettre sur le brancard. Zut, ah non, c'est pas le moment que la batterie me
lâche !
ELLE: Dis,
c'est curieux, tu trouves pas qu'il te ressemble un peu ?
Ses dernières paroles se répétaient en
boucle, comme un écho dans ma tête. "... il te ressemble un peu ... un
peu... un peu... un peu..." Et puis le noir !