Madeleine et l'homme au costume gris

06/06/2019

> Pour ne rien dévoiler de l'intrigue, la consigne d'écriture n'est spécifiée qu'en bas de page

Madeleine ne sortait plus beaucoup depuis que son petit-fils avait quitté le domicile familial. Elle se traînait péniblement de la cuisine à la chambre, puis de la chambre au lit dans l'attente de l'hypothétique retour de son dernier rejeton. Elle savait bien, pourtant, qu'il ne passait que le week-end lui rendre visite, mais, elle avait cette fâcheuse manie d'oublier les jours, les dates et tout un tas d'autres choses d'ailleurs. Était-ce les médicaments ? Était-ce une défaillance normale à son âge avancé ? Ou ne jouait-elle pas, parfois, de ses amnésies passagères pour se faire plaindre, comme la petite fille qu'au fond d'elle-même, elle était restée ?

De sa chaise, sans bouger, elle attendait son petit Timothée. On était mardi, la semaine serait bientôt terminée, son petit-fils était le seul visage qu'elle voyait encore. Elle observait d'un air désabusé la pile de courriers qui s'entassait sur sa petite table et qu'elle n'avait jamais ouverts quand on frappa à la porte. Déjà ?

  • - Entre, mon chéri, c'est ouvert !

Cette injonction lui était nouvelle, habituellement, il entrait sans prévenir, n'ignorant pas que son aïeule était un peu dure de la feuille. Elle eut du mal à se déplacer jusqu'à la porte d'entrée.

  • - Tu as oublié tes clés, Timothée ?

Son sourire s'effaça quand elle ouvrit à un petit homme en costume gris, accompagné de deux malabars, du style lutteurs de foire. Derrière eux, un autre portait un uniforme et Madeleine reconnut un officier de police. Elle en avait déjà vu un, l'année passée, quand il avait rapporté cette pochette ensanglantée et son vieux cœur, aussitôt s'emballa.

  • - Il est arrivé quelque chose à Timothée ?
  • - Non, rien de grave, c'est juste l'huissier.
  • - L'acier ? Ah non, je n'ai pas d'acier, ici !
  • - L'huissier, madame, c'est pour l'appartement. Vous n'avez pas répondu aux mises en demeure

Il fallut un certain temps à Madeleine pour remettre tous les mots qu'elle entendait dans le bon ordre et en comprendre le sens. C'est toujours Timothée qui réglait les soucis matériels de la vieille dame

  • - Pour le loyer, il faut voir avec mon petit-fils. Il ne devrait plus tarder.
  • - Voilà plus de six mois que vous n'avez payé, précisa le petit homme en costume gris, sans lever le nez de son cahier.

Six mois déjà ?

Avec difficulté, Madeleine décrocha le calendrier graisseux qui pendait au-dessus de la cuisinière et y retrouva la petite croix rouge qu'elle avait tracée, la dernière fois que Timothée était venue la visiter. Qu'il était beau sur sa moto !

Ah oui, six mois... comme le temps passe !

  • - Je suis désolé, ma petite dame, enchaîna le policier, tous les recours sont dépassés, nous devons procéder à votre évacuation
  • Quelle vacation ? Il y a bien longtemps que je ne fais plus de vacations.

Madeleine eut pris plaisir à leur raconter sa jeunesse d'institutrice, ses démêlés avec l'Éducation Nationale, et sa joie, chaque matin, à retrouver ses jeunes élèves, mais, visiblement, les hommes n'avaient que faire de ses divagations.

Le policier consignait tous leurs échanges dans son gros cahier et les malabars emportaient le vaisselier.

  • - Pourquoi vous emmenez mon meuble ?
  • - C'est la seule chose de valeur, madame, ça remboursera une partie de la dette
  • - Odette ? Oh, non, y a bien longtemps qu'elle n'est plus de ce monde.

Comprenant qu'ils ne tireraient pas grand chose de la vieille dame, le policier accéléra la procédure

  • - Vous avez des affaires personnelles à emporter ? Une valise pour les ranger ?

Interdite, Madeleine regardait les hommes s'affairer sans bien comprendre ce qui se passait.

  • - C'est ma valise, monsieur l'agent, vous ne pouvez pas me la prendre.
  • - Je ne la prends pas, je vous la prépare. Je vous ajoute ce chandail, il va faire froid, dehors.

La simple évocation de ce mot -froid- la pétrifia et Madeleine s'enfonça plus profond dans son fauteuil.

  • - Dites, ça vaut peut-être quelque chose ce fauteuil, estima l'un des malabars qui en inspectait la texture.
  • - Non, Martin, c'est du matériel médical, s'interposa le policier. On n'emporte pas les chaises roulantes, c'est interdit.
  • - En plus, ajouta son comparse, ce sera plus facile pour la descendre. On doit encore se coltiner les cinq étages.
  • - Un potage ? Vous voulez un potage ? Quelle bonne idée. Ne bougez pas, ce sera prêt dans deux minutes.

Mais, deux minutes, c'était encore deux de trop pour la petite équipe dont le temps était compté. Madeleine n'était que leur première expropriation de la journée, ils ne pouvaient pas se permettre de lambiner.

De fait, il fallut beaucoup moins de temps pour que Madeleine se retrouvât au pied de son immeuble, avec sa chaise roulante et sa petite valise sur les genoux.

En repartant, les hommes se félicitaient d'une opération si rondement menée et ce n'est qu'après qu'ils eurent le dos tourné que Madeleine réalisa ce qui lui arrivait.

Derrière les grandes tours, un soleil timide se levait et elle y vit le signe d'une belle journée. Elle en profiterait pour se rendre au cimetière et se recueillir sur la tombe de son cher Timothée.

La consigne: Rédaction d'une scène (dialoguée ou non), incluant "une personne seule chez elle, un huissier à sa porte qui lui réclame des loyers impayés et, en final imposé, ladite personne jetée dehors avec son sac". Ajouter une caractérisation du personnage.

Temps imparti: 20 minutes

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