Oh, la belle balle

24/06/2019

La consigne: Rédaction d'une scène comportant "Un objet (une balle par exemple),  lancée puis stoppée par un personnage qu'on découvrira décrit de bas en haut". Choisir un point de vue. Ajouter une caractérisation du personnage.

Temps imparti: 20 minutes

J'aurais pu m'appeler Charles-Édouard ou Pierre-Hubert, mais on me nomme La Balle, en toute simplicité. Si j'en crois la définition wikipédesque, je suis un objet sphérique (quoique sur ce point, je reste sceptique), utilisé comme matériel de sport et de loisir. Exemple, balle de tennis, de football, de ping-pong, etc...

Là encore, un distinguo s'impose. Je n'ai rien à voir avec une vulgaire baballe en peau de bestiole ou une bouboule thermoformée. Nous ne sommes pas faits du même métal. Je suis une bille d'acier, une bastos, un pruneau, une cartouche de beau calibre. D'un Colt 45, en l'occurrence. Un bel objet, en vérité: crosse en ivoire, tube argenté et silencieux adapté.

C'est ce petit détail, si anodin en apparence, qui fait que l'autre abruti en face n'a rien vu venir. Tout juste a-t-il entendu le bang qui a précédé mon envol, c'était déjà trop tard. Une petite seconde à peine et je faisais corps avec ce triste guignol au teint blême. Une seconde dans la vie d'un homme, c'est court. Surtout, celle qui précède son trépas.

Mais je vois bien que vous peinez à visualiser la scène, je vous la rejoue au ralenti.

00:00:00 : Lovée au fond du barillet, je ne vois rien du monde qui m'entoure. Tel un bébé dans un ventre, j'attends ce petit signe qui m'invitera à sortir. Éjaculation de feu, je m'éjecte du tube et découvre la lumière. L'odyssée commence.

+ 20 centièmes de seconde : Je suis déjà aux deux-tiers de ma traversée, le décor défile à toute vitesse de chaque côté et je crois apercevoir quelques paires d'yeux sidérés qui fixent ma victime dont je devine à présent la forme dans un flou tout artistique. Il porte de grosses bottes en croco sur des cuisses musclées et charnues. Son ceinturon de cuir maintient avec peine sa rondouillarde bedaine, dissimulée sous une chemise au blanc douteux.

+ 40 centièmes de seconde : L'abdomen est un point stratégique, c'est souvent là qu'on doit se loger. Le cœur n'est pas très loin et chacun sait que les peines de cœurs sont souvent mortelles. Mais, ce n'est pas ma trajectoire. Au dessus de son cou de buffle, son visage se rapproche. Faciès bouffi aux joues rebondies et mâchoire édentée. Je distingue, à présent, comme un vague rictus d'incompréhension et un léger trouble dans son regard. Aura-t-il le temps de bredouiller quelque chose ?

+ 60 centièmes de seconde : Mon objectif se précise et, bientôt, le haut de son crâne devient comme un mur qui arrêtera mon élan. Vais-je, au dernier moment, raser ces rares cheveux gris dispersés, signe d'une calvitie déjà bien avancée et me finir dans une poutre du salon ? Triste destin pour une cartouche que de finir en balle perdue.

+ 90 centièmes de seconde : Et c'est le choc. Le bruit est mat, spongieux et tout laisse à penser que je viens de m'enfoncer dans la tête de ma victime. Précisément, entre les deux yeux où se dessine un magnifique trou de balle. C'est un sentiment assez indéfinissable, quasiment orgasmique, quand entrent en osmose ces deux corps, l'un organique, l'autre métallique et se fondent en une nouvelle forme, celle du cadavre en devenir.

Dans le crâne, mon mouvement se trouve singulièrement ralenti et je traverse une bouillie d'organes, parmi lesquels il me semble reconnaître un nerf oculaire, un bout de sinus et quelques tendeurs zygomatiques, pour me loger à l'arrière de sa boîte crânienne, sans pouvoir en ressortir. Mon embonpoint m'aura été fatal, me voilà bloquée entre pariétal et occipital.

+ 1 seconde et 2 centièmes : Ce sentiment de plénitude est incomparable et j'aimerai prolonger cet instant éternellement, mais, déjà je sens vibrer cette grande carcasse. Près du cerveau, c'est une explosion de caillots et de petits os. De la matière grise dégouline sur ma silhouette d'acier, ma victime pousse son râle ultime : aaaargh !!

On tombe.

Bordeaux - 18 juin 2019

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