Je suis...

Je suis allongé sur cette pelouse, bras en croix, regard perdu vers le ciel qui s'éteint. Il fait doux et une myriade d'étoiles dessine mon nom dans la ténèbre. Je suis la nuit.

Je suis à moitié endormi. Je vois défiler les images de ma vie, comme un vieux film au ralenti. Les images se bousculent, je suis le souvenir

Je suis ce bébé qui ouvre les yeux sur un monde neuf et plein d'espérances. Je suis la vie qui avance.

Je suis cet enfant qui croit aux lendemains qui chantent. Les mains dans les poches et le nez au vent, je suis cette âme qui danse.

Je suis l'adolescence, tiraillée entre désirs inassouvis et déceptions déjà naissantes. Je suis l'impuissance.

Je suis l'homme qui se conforme à ce qu'on attend de lui, je suis honneur, famille, patrie. Je suis la fin des errances.

Je suis ce vieux con désabusé qui comprend enfin que tout n'était qu'illusions. Je suis la lucidité qui pense.

Je suis celui-ci, celui-là, je suis tout le monde à la fois, la veuve et l'orphelin, le pauvre et le rupin. Je suis la variété.

Je suis le poète qui libère les mots pour en extraire des diamants. Je suis celui qui triche, je suis celui qui ment. Je suis la femme et son amant. Je suis l'assassin et sa victime qui l'attend.

Je suis le général qui envoie ses soldats au tombeau, viandes offertes au charnier pour gagner sa médaille. Je suis la suffisance.

Je suis le pauvre hère qui trime à la tâche pour gagner sa pitance. Je suis le prince qui saigne son peuple pour satisfaire sa puissance.

Je suis comme porté par le vent, prêt à me dissoudre dans le temps. Je suis un rêve.

Je suis en osmose avec le cosmos, baignant dans l'océan primitif et me nourrissant des particules élémentaires. Je suis la science.

Je suis le plus et le moins, je suis l'Alpha et l'Oméga, le trop-plein et le néant. Je suis l'atome du vivant.

Je suis heureux comme je ne l'ai jamais été, enfin débarrassé des pesanteurs du quotidien. Je suis le retour à l'insouciance.

Je suis bien. Je suis mort.