Fichue carotte
Il y a des légendes parfois qui vous restent dans la tête...
- - Méfie-toi de la nuit. Dans le noir, tu ne pourras jamais retrouver ton chemin !
Jeannot se souvenait les paroles des anciens et, tandis qu'il voyait le soleil descendre derrière la colline, il sentait la sueur froide couler dans son dos.
Tout ça pour une fichue carotte ! Si ça n'avait été que lui, il l'aurait bien laissée où elle était. Après tout, avait-il seulement faim ? Bien sûr que non ! Mais c'est Gustave qui avait insisté, qu'est-ce qu'il avait pu l'encenser cette fichue carotte. Son frère était d'un naturel hâbleur et il ne cessait de lui raconter mille merveilles sur les fabuleux pouvoirs de ce légume.
- Tu verras, ça vaut tous les trésors du monde. Encore faut-il que tu ailles la chercher !
Ah, c'est bien beau les grands discours, les belles histoires, mais, il est où Gustave, à présent ? Pauvre Jeannot, te voilà largué, en plan et au bord de la nuit, avec cette fichue carotte. Maman t'avais pourtant dit de ne pas sortir du clapier, mais tu voulais leur prouver, à tous, que tu étais capable de leur rapporter la carotte sacrée.
- - Je ne suis plus un bébé, quand même. ...Bon, je suis où, là ?
Jeannot ne connaissait pas ce petit buisson derrière la ferme. Et pour cause, il ne s'était jamais aventuré jusqu'ici. D'ailleurs, il n'était même jamais sorti de sa cage. C'est du fond du clapier, derrière un fin grillage, qu'en famille, le soir, ils regardaient la lune se coucher sur le potager. Papa récitait des poèmes et Gustave racontait les légendes de la carotte sacrée. Toutes ces maudites histoires qui m'ont amenées ici ! J'aurai pas dû sortir.
Maman pense que durant la nuit, les ténèbres nous réduisent en poussière et c'est pour ça qu'on est à l'abri dans notre clapier. Papa répète souvent "Qui part le soir,jamais ne revient !"
- - Ô, s'il existe en ce monde, un dieu des lapins, qu'il entende mon appel et me vienne en aide. Que le Grand Lapinou me prenne en pitié !
Le buisson a bougé ! Je n'ai pas rêvé, le buisson a bougé !
- Par ici, Roger ! J'ai entendu quelque chose, viens !
Des voix ?! Sûrement des humains, il n'y a que les humains pour s'exprimer de la sorte. Je veux dire aussi bruyamment.
- Oui, viens voir, c'est Jeannot ! Il est ici !
Je les reconnais à présent, ce sont nos bienfaiteurs. Ceux qui nous nourrissent et nous soignent. Ils vont me ramener à la maison
- Oh mon petit lapin, j'ai eu tellement peur de t'avoir perdu. Allez, viens par ici, mon petit Jeannot. Viens avec tata Josyane !
Les bras de la fermière sont chaleureux, on aime à s'y blottir. Elle part d'un rire joyeux qui réchauffe les cœurs.
- - Toi, tu peux dire que t'as eu de la chance. Normalement, c'était ton tour de passer à la casserole !
- - Voyons, Roger, ne lui dis pas ça, tu vas le traumatiser... le pauvre !
- - Parce que tu crois qu'il te comprend ? Oh, réveille-toi ma vieille, c'est qu'un lapin !
Oui, c'est ça, "lapin"... Il me reconnaît puisqu'il m'appelle par mon nom. Et moi, qui le trouvait distant, pour ne pas dire un tantinet indifférent. En fait, je crois qu'il m'aime bien, Roger. Ça me rassure
- - Regarde, Roger, regarde comme il est mignon. Il allait manger une carotte, il la tient encore entre ses pattes !
- - Passe-la moi, Josyane ! Y a son frère dans la cocotte-minute, on rajoutera la carotte dans le bouillon !
- janvier 2018