Chez la Voisier

28/04/2020

La scène se passe au restaurant.

Le client consulte la carte.

SERVEUR : Et pour monsieur, ce sera ?

CLIENT : Ho, j'hésite encore. Qu'est ce que vous me conseillez, jeune homme ?

SERVEUR : Nous avons un petit gratin de doigts, c'est très goûteux, très fin

CLIENT : Hum, hum… Et les rognons de la mère Ruff, ils sont comment ?

SERVEUR : Comme des rognons. Ils sont de ce matin, le chef vient juste de les découper et…

CLIENT : Non, je veux dire, c'est pas trop salé ? Parce qu'avec mon hypertension…

SERVEUR : Ah, là vous me prenez un peu de court, faut que je demande au patron. (il appelle) Monsieur Ruff ! Monsieur Ruff ?

PATRON (off) : Quoi, encore ?

SERVEUR : Le monsieur voudrait savoir… pour les rognons de votre dame… ?

Le patron débarque dans la salle du resto.

PATRON : Quoi, quoi, qu'est-ce qu'ils ont mes rognons ?

CLIENT : Rien du tout, c'est juste savoir s'ils sont salés ou…

PATRON : Aucun risque. Ma femme suivait un régime très strict. Ni sel, ni gras, ni additifs. C'est qu'elle surveillait sa ligne, la mère Ruff.

CLIENT : Parfait ! Alors je crois que je vais opter pour ça.

SERVEUR : C'est vous qui choisissez. Mais, si je peux me permettre, le gratin de doigts, c'est quand même plus digeste. Si, après, vous devez reprendre le travail…

PATRON : Mais qu'est ce qu'il raconte le merdeux ? Ne l'écoutez pas, monsieur, c'est un petit jeune qui débute, il n'y connaît rien. Ma femme était un vrai délice, une bonne pâte…

SERVEUR : Dans ce cas, fallait en faire une tarte. Ou un pâté en croûte, à la rigueur. Non, croyez-moi, les rognons, faut que ce soit frais. Faut du tendron, pas de la vieille carne.

PATRON : Mais comment ils parlent des morts, lui ? On ne t'as jamais appris le respect, p'tit con ?

SERVEUR : Excusez-moi patron, mais, je veille à notre clientèle. Je ne tiens pas à ce que monsieur nous fasse une indigestion.

PATRON : Contente-toi de servir, le reste c'est mon affaire. Allez, une portion de rognons, une !

CLIENT : C'est à dire que… à la réflexion… je me demande si c'est bien prudent.

PATRON : Ça y est, c'est le gamin qui vous a monté le bourrichon. Forcément, il n'a jamais pu la saquer, ma femme. Mais, goûtez-y et vous verrez bien. C'est succulent.

CLIENT : Je n'en doute pas, mais… l'odeur du rognon, c'est assez tenace. Et, cet après-midi, j'ai une réunion avec la direction, alors je…

PATRON : Po, po, po… pour le digestif, je vous offrirai un petit jus de macchabée, ça désinfecte !

CLIENT : Dites, vous semblez bien approvisionné dans le coin. Pourtant, en ce moment, avec tous ces scandales sur la viande…

PATRON : C'est surtout qu'on est bien placé, on a le cimetière juste derrière les cuisines. Directement du producteur au consommateur.

SERVEUR : C'est vrai que c'est pratique. Et les règles d'hygiène sont tellement strictes.

PATRON : Ça, nous suivons les directives gouvernementales : récupération, recyclage, revalorisation. On n'en perd pas une miette.

SERVEUR : N'empêche que c'est toujours moi qui creuse. Et avec cette manie qu'ils ont de les enterrer aussi profond…

PATRON : Et alors ? Il croyait quoi ? Qu'on devenait chef de cuisine en trois coups de cuillère à pot ? Faut faire ton apprentissage mon petit gars. Et pour l'instant, ton job, c'est le service. Alors, tu sers !

SERVEUR : Oh ça va, moi, je voulais juste que monsieur soit content de son repas. Si on veut que les clients reviennent…

PATRON : Mais il reviendra. N'est-ce pas que vous reviendrez ?

CLIENT : Ne vous inquiétez pas pour ça, votre établissement est très réputé. D'ailleurs, c'est un ami qui me l'a conseillé, il travaille pour « le Guide du Croutard ».

SERVEUR : Et il ne vous a rien dit sur le gratin de doigts ? C'est pourtant ce qui a fait toute a renommée du restaurant.

PATRON : Mais de quoi il s'occupe, celui-là ? Oui, oui, notre gratin est très prisé… mais j'ai des rognons à liquider, moi. Je vais quand même pas garder ça une semaine dans le frigo !

SERVEUR : Ah ! Ah, vous voyez qu'elle prend de la place, votre femme. Même décédée, faut encore qu'elle nous embarrasse.

PATRON : Bon, toi, tu vas retourner faire tes trous, moi, je m'occupe de monsieur. Allez, ouste. (…)

Le garçon sort.

PATRON : Ah, mais, c'est qu'on est jamais mieux servi que par soi-même. Quelle idée aussi d'embaucher un apprenti. C'est même pas son boulot, il n'y connaît rien.

CLIENT : Ah oui ? Parce qu'il a une formation, ce petit jeune homme ?

PATRON : Pensez-vous, il voulait être empailleur de bébés, mais, c'est complètement bouché.

CLIENT : C'est sûr, avec tous les progrès de la médecine, on ne meurt presque plus de nos jours.

PATRON : Et oui, c'est bien le drame. Alors, si en plus, ils nous interdisent la viande animale, comment voulez-vous qu'on s'en sorte ? Les végans au pouvoir, on aurait dû se douter que ce serait complications et compagnie.

CLIENT : Faut reconnaître que les conditions d'abattage étaient assez… heu, inhumaines.

PATRON : D'accord, mais y a des limites. Franchement, remplacer le cuir par des chaussures en foin… ou, une veste en nouilles, admettez que c'est pas très élégant.

CLIENT : Et puis, dès qu'il y a un peu de soleil, ça colle, ça poisse. C'est dégueulasse.

PATRON : Je ne vous le fais pas dire. Enfin, heureusement qu'on nous a autorisé à recycler nos défunts, parce que le steack de fenouil ou le gigot de carottes, moi, c'est vraiment pas ma tasse de thé.

CLIENT : Et c'est vrai que vous avez su développer des trésors d'imagination pour accommoder tous ces restes. Quelle invention, quelle innovation. Félicitations.

PATRON : C'est pour ça que j'ai appelé ma petite gargote, « chez Lavoisier ».

CLIENT : Plait-il ?

PATRON : Bien sûr. Ça ne vous dit rien ? « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ». Ce sont ses propres mots. Alors, on y va pour ses petits rognons ?

CLIENT : Soit. De toute façon, je meurs de faim.

PATRON : Ah non, attendez d'avoir mangé avant de trépasser, ce serait trop bête.

SERVEUR (off) : Patron, patron !!!

PATRON : Oh, le revoilà lui ? Qu'est ce qu'il y a encore ?

Le garçon revient.

SERVEUR : Un nouvel arrivage. L'hôpital qui a raté ses trépanations. Je mets ça où ?

PATRON : Mais dans le frigo, voyons, pas dans ma poche. Ah, ces jeunes, alors, faut vraiment tout leur expliquer.

la preuve que Lavoisier était timbré
la preuve que Lavoisier était timbré

Atelier d'écriture :

La consigne: Cimetière ou bibliothèque du futur. >> Une personne démarre dans la restauration comme serveur et doit servir un client difficile. Imaginer la situation dramatique.>> Au préalable, définir personnage, objectif, univers et conflit qui l'anime.

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