Ma bonne étoile

15/12/2017

Samedi 10 Juin, le soleil est à son zénith, il fait chaud sur cette petite route de campagne.
  • - Ne traînez pas les enfants, il faut arriver avant midi !

Je n'avais jamais vu papa dans cet état. Tout rouge et en sueur, on dirait qu'il va exploser, mais il n'a pas l'air trop fatigué.

Depuis ce matin qu'on est partis de Limoges, ça fait de la route quand même. On n'arrête pas de marcher et je vois bien qu'à l'arrière, ma petite sœur a du mal à suivre. Une vingtaine de kilomètres à pied, a dit maman, c'est pas non plus le bout du monde.

  • - Mais popa, j'chuis fatiguéééé !

Tiens, qu'est-ce que je disais ! Quand il y en a une qui pleurniche, c'est toujours la plus petite. Faut dire que ça fait plus de cinq heures qu'on crapahute et ça commence à faire long. En plus, avec tous ces bagages sur le dos, c'est pas très pratique. Moi aussi, j'en ai plein les pattes. Mais, je n'irai pas me plaindre. Je suis assez grand pour comprendre la gravité de la situation. Comme dit papa.

  • - Tu préfères qu'ils nous rattrapent ? demande papa à sœurette. Et, tu sais ce qu'ils nous feront alors ?

Oh, moi, je le sais bien. Je les ai vus, ces soldats quand ils ont arrêté ces pauvres gens. Ils les ont sortis de leurs appartements, sans ménagement et ils les ont emmenés. Même pas habillés, sans bagage aucun. On murmure que personne ne les a jamais revus. Peut-être qu'ils reviendront quand tout cela sera fini ?

  • - Hein, tu le sais ce qu'ils nous feront ? insiste papa.
  • - Allez, mon poussin, la console maman, encore un petit effort. Le prochain village n'est plus très loin. À peine deux ou trois kilomètres.

Puis, devant le regard perplexe de papa, elle précise :

  • - C'est le paysan qui me l'a dit !
  • - Vous avez discuté ?, s'inquiète papa
  • - Non, non, je ne lui ai rien dit. Mais, il était bien gentil de nous transporter dans sa bétaillère. Alors, j'ai été polie, je l'ai écouté.
  • - Tu sais que nous devons rester prudents.
  • - Oui, évidemment. Il a dit aussi que la guerre était finie
  • - Oui, mais la fin de la guerre, ce n'est pas encore la paix. Surtout pour nous.

Pourquoi nous ?

Papa nous a déjà expliqué qu'il y a des noms comme ça qui vous distingue des autres individus. Des patronymes qui suffisent à vous inscrire en rouge sur de sombres registres ...et courent les plus folles rumeurs sur ceux qu'ils sont déjà venus chercher. Je n'arrive pas à comprendre en quoi, un simple nom peut modifier une personne !

  • - Allez, avance Sarah. Regarde, fais comme ton frère, il ne se plaint pas lui, c'est un grand garçon. C'est bien Salomon, c'est bien.

Maman était fière de moi et, pour ne pas la décevoir, j'ai allongé le pas. Je crois qu'on a marché longtemps encore et puis, aux alentours de midi, enfin, on l'a vu, ce petit village à flanc de coteau. Après la rivière, un grand porche de pierre en marquait l'entrée.

  • - Ça y est, on est enfin arrivés ? a pleurniché Sarah
  • - Oui, repose-toi. On va bientôt venir nous chercher.

Alors, papa nous a demandé de nous cacher dans les buissons et nous avons attendu. En silence et sans bouger.

  • - Tu es sûr qu'il va venir ? a demandé maman
  • - Mais oui, Rachel, mais oui...

Nous avons attendu. La campagne était déserte et même les oiseaux semblaient voler sans bruit. Sarah ne se plaignait plus de ses chevilles endolories ou de ses points de côté. Seulement, maintenant, elle avait faim.

  • - Patiente encore lui avait dit maman. Dans quelques minutes, nous serons à l'abri et on te donnera à manger...
  • - Chut, l'a coupé papa. Voilà quelqu'un !

On n'a pas pu voir de qui il s'agissait parce que papa nous avait ordonné de nous coucher au sol mais lui, était resté debout à observer.

  • - C'est bon. C'est bien Maurice, on est sauvés !

En relevant la tête, ce n'est pas seulement une minuscule silhouette que j'aperçois au loin mais le son d'une voix qui se rapproche et devient plus distincte.

  • - Ah, mes amis, mes amis... Vous êtes sauvés. Bientôt tout cela ne sera plus qu'un mauvais souvenir.

Et papa se jette dans les bras de monsieur Baubreuil, un gaillard en treillis. Mais, Maurice n'est pas tout seul. Une demi-douzaine de personnes l'accompagnent et qui semblent tous très heureux de nous voir. Madame Rouffanche nous a offert à boire et des petits biscuits que nous grignotons en marchant. Monsieur Dupré porte Sarah dans ses bras. Ma petite sœur n'a pas tout compris

  • - C'est quoi qui est fini ?
  • - Toutes ces horreurs, lui explique le vieil homme, c'est enfin terminé. Les alliés ont débarqué en Normandie, la Corse est libérée. Les allemands sont en déroute, ils fuient le pays. Ce n'est plus qu'une question d'heures. De jours tout au plus ! Mais, tu es une grande fille, maintenant. Tu n'as plus peur.

Maman a sauté de joie, s'est pendue au cou de papa, m'a embrassé furieusement et caressé les boucles blondes de Sarah. Tout ça en même temps, c'est dire comme elle avait l'air content.

  • - Il faut encore faire attention, prévient papa cependant. Un retour de bâton n'est jamais à négliger. Et puis avec les noms qu'on porte...
  • - On s'en fout de vos noms, s'est énervé Maurice. On ne tue pas des gens pour une histoire de noms, c'est des conneries, tout ça.
  • - Et puis, nous veillerons sur vous... comme sur nos propres enfants, a ajouté madame Rouffanche.

Maurice nous guide jusqu'au village, nous traversons le petit pont qui surplombe la rivière et passons sous le vieux porche de pierre.

  • -Vous verrez, c'est un petit village tranquille, vous y serez en sécurité !

Malgré tous ces encouragements, papa reste soucieux

  • - C'est gentil à vous ! Mais si, par hasard, une colonne de blindés...
  • - Pas de souci, vous iriez vous cacher dans la grange de monsieur Laudy. Mais, je vous assure qu'il n'y a plus aucun risque. Le régiment qui campait à Saint Junien vient juste de s'en aller. Je tiens l'information d'un ami maquisard.

Je ne comprends pas pourquoi papa continue de s'inquiéter. Monsieur Baubreuil vient de lui dire, on est sauvés !

  • - Et toi, tu m'as l'air d'un grand garçon, me dit madame Rouffanche. Tu veux faire quoi plus tard ?
  • - Je ne sais pas encore... je verrai bien
  • - Tu as raison. À présent, tu as tout l'avenir devant toi.
  • - En tous cas, c'est gentil de nous accueillir ainsi. Dites, comment s'appelle votre petit village. C'est que je ne souhaite pas l'oublier
  • - Oradour. Oradour sur Glane. Ça te plait ?
  • - Oh oui, c'est vraiment très joli ! Et tranquille. On sera bien ici !

Décembre 2017 - à Jean-Philippe M.

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