Amer Noël
Courte saynète pour cinq personnages.
La mère, le père, le fils et la grand-mère, bientôt rejointe par un vieil oncle et, le tout, réuni devant un arbre de Noël. Si nécessaire, musique de circonstance.
PAPA: Joyeux Noël, grand-maman
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
MAMAN: Il te souhaite un joyeux noël, maman
MAMIE: Ah bon... C'est bien gentil... merci Joël !
JULIEN: Moi, c'est Julien, mamie... pas Joël !
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
MAMAN: Pareil, il te souhaite joyeux noël. Allez, donne-lui son cadeau, mon Juju !
JULIEN: Nan !
PAPA: Mais si, mais si...
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
PAPA: Il veut vous faire un cadeau, grand-maman
MAMIE: Oh, vous savez, moi, les gâteaux à mon âge...
MAMAN: Mais non maman... un cadeau. Un ca-deau !
MAMIE: Oh mais non, c'est pas la peine... En plus, avec mes dents... et pourquoi vous me gâtez tant ?
MAMAN: Voyons maman... c'est noël ! Un cadeau pour Noël !
MAMIE: Ah, d'accord. ...Bah, j'suis bien content pour lui
PAPA: Allez, donne-lui son cadeau, mon chéri!!!
JULIEN: Nan ! C'est pour moi !
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
MAMAN: Il dit... Il dit rien... Allez Julien ! Donne-ça à Mamie, tu sais bien que nous avons un cadeau pour toi aussi !
JULIEN: Nan ! C'est çui-là que j'veux !
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
PAPA: Il dit qu'il est très heureux
MAMIE: Oh bah, faut pas, faut pas...
MAMIE: Allons, ça suffit mon chéri, ne fais pas de caprices !
PAPA: Julien, si tu n'écoutes pas ta mère, je te flanque une baffe et tu vas te coucher sans manger. Compris ?
Apparemment, ça marche. Silence, puis...
JULIEN: Tiens Mamie...
MAMIE: Qu'il est mignon ce petit... Oh, vous avez encore fais des folies, fallait pas. Oh, mais qu'est ce que c'est donc ?
PAPA: Aide-la à défaire son paquet, Julien, sinon on va encore y passer la nuit !
Julien aide sa mamie. Image d'Épinal.
MAMIE: Oh, un stylo. Quelle bonne surprise. Comme c'est original.
JULIEN: [chouinant] C'est qu'est-ce que je voulais !
MAMIE: Oh, le pauvre biquet. Et bien, mamie, elle va te le donner, mon trésor et...
PAPA: Non, c'est le cadeau à Mamie. Toi, le père noël t'a apporté autre chose
MAMIE: Et il t'a apporté quoi le papa noël... ? Hein, mon petit Joël ?!
JULIEN: Un train des lettriques. Mais, moi je voulais un stylo !
PAPA: Que veux-tu faire d'un stylo... Tu ne sais même pas écrire.
JULIEN: Si, pour faire comme mamie, pour finir son testament...
MAMAN: Voyons Julien, qu'est ce que tu racontes ?
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
MAMAN: Il dit... Il dit...
PAPA: Il dit que c'est pour écrire à tes amants. Ce qu'il est taquin ce gosse !
MAMIE: Merci, mon trésor. Viens que je te fasse un bisou.
PAPA: Et après, va jouer dans ta chambre. On t'appelera pour dîner!
JULIEN: [se collant à Mamie] Moi aussi, je veux signer avant de perdre la boule !
PAPA: Julien, ça suffit ! Je vais t'en coller une !
MAMIE: Qu'est-ce qu'y dit ?
PAPA: Bof, des trucs de jeune... Vous savez ce que c'est, il trouve ça "Cool !"
MAMAN: Oui, c'est ça, il est ému
MAMIE: Mais pourquoi il est tout nu ?
MAMAN: Ému, maman... é-mu ! c'est l'émotion, quoi !
MAMIE: Ah bah, c'est bien, c'est bien ! Regarde ton émission, ça me dérange pas !
JULIEN: Moi, j'voulais le stylo de Mamie !!!
MAMAN: Julien, dans ta chambre, tout de suite! Je sens que je vais me fâcher.
PAPA: Calme-toi ma chérie, tde toute façon, ta mère est sourde comme un pot
MAMIE: Ah non, certainement pas, mon gendre. [un temps] Ce n'est pas le bon jour pour parler des impôts... Amusons nous plutôt mes enfants, faisons la fête... Comme autrefois.
MAMAN: Oui... Oui, tu as raison. Nous allons préparer le repas, maman.
PAPA: Restez donc devant la télé, mamie, nous vous prévenons dès que c'est prêt
On frappe à la porte (Toc, toc, toc !)
MAMAN: On a frappé Julien, va ouvrir !
JULIEN: [off] Peux pas ! ...Chuis t'occupé !!!
MAMAN: Toi, tu perds rien pour attendre [ouvrant la porte] Oh, quelle bonne surprise !
ONC'HENRI: Joyeux noël, les enfants !
MAMIE: Qu'est ce que c'est ?
PAPA: C'est l'oncle Henri qui nous rend visite... [à l'Oncle Henri] Installez vous près d'elle, nous allions préparer le repas. Vous resterez à dîner
ONC'HENRI: Je ne voudrais pas m'imposer !
MAMAN: Mais pas du tout... Toi, Julien, tu viens avec nous... Faut qu'on cause !
Ils sortent, Mamie et oncle Henri restent seuls. Devant la télé.
ONC'HENRI: Alors la vieille, on se fait dorloter ?
MAMIE: Oh éteins-moi ce truc, ça me fatigue toutes leurs conneries
Oncle Henri baisse le son de la télé.
ONC'HENRI: T'as bien de la chance d'avoir une famille aux petits soins...
MAMIE: Vas-y, moque-toi face de cake... avec ton ulcère, ça durera pas
ONC'HENRI: Tu vois bien que je te taquine «mamie»... Après tout, t'as bien raison, c'est pas tous les jours noël !
MAMIE: J'allais quand même pas rester toute seule dans mon studio pourri
ONC'HENRI: Tu te doutais bien que j'allais passer te voir
MAMIE: En effet, Je vois que tes chiards t'ont laissé sortir
ONC'HENRI: Bah, ils s'inquiètent pour un rien... Depuis que je suis revenu chez eux, je me sens un peu prisonnier, mais c'est toujours mieux que la maison de retraite. Tu sais comme ils sont, ils ont peur quand je m'absente trop longtemps... Des fois que j'aille traîner au bistro !
MAMIE: Pfftt ! Sont encore plus cons que les miens
ONC'HENRI: N'exagère rien, ils sont bien braves après tout. Tiens, aujourd'hui, c'est mon fils lui-même qui m'a suggéré de passer te voir
MAMIE: Tu parles ! J'imagine qu'ils voulaient être tranquilles pour le réveillon.
ONC'HENRI: Dis pas des choses pareilles, la vieille ! Tu sais que mes enfants t'aiment bien.. Eux !
MAMIE: Dommage parce que c'est pas réciproque. Sois pas naïf, ils sont comme les miens, ils n'attendent qu'une chose: qu'on soit dans le trou. Et que ça leur coûte pas un rond. Regarde ce qu'ils m'ont offert , ces cons... Un stylo ! Ah, ça a dû leur coûter cher !
ONC'HENRI: C'est l'intention qui compte
MAMIE: Si y a quelqu'un qui compte, c'est bien eux, oui. Ils comptent, surtout, combien je vais leur laisser... Ah s'ils savaient... J'ai failli refourguer le stylo à leur connard de mioche ! Pour signer, pfttt ! ...mais tu me connais, moi, je fais celle qui pige rien.
ONC'HENRI: C'est vrai que t'es fortiche la vioque. Depuis le temps qu'ils te croient sourdingue...
MAMIE: ... et qu'ils ne se privent pas pour raconter leurs conneries devant moi. Crois-moi, tu devrais faire pareil, c'est très enrichissant
ONC'HENRI: Arrête, je leur joue déjà le Parkinson et je saupoudre d'Alzheimer précoce... J'peux pas en faire trop, sinon c'est direct à la maison de retraite.
MAMIE: Pour ça au moins, j'suis tranquille. Comme ils s'imaginent que j'ai du fric de coté, ils sont obligés de me dorloter. Je te dis pas comment ça va leur faire un choc !
ONC'HENRI: Comment ça ? Tu veux dire que... ta fortune, c'est du pipeau ?
MAMIE: Mais j'suis encore plus fauchée qu'un champ de blé, mon pauvre. J'ai tout claqué pendant que je le pouvais. Et aujourd'hui, je m'aperçois que j'ai bien fait.
ONC'HENRI: D'toute façon, à notre âge, le fric y servirait plus à grand chose
MAMIE: Parle pour toi, vieux débris. Si j'avais effectivement le pognon que je prétends, crois-moi que ça ferait un bail que j'aurais pris mes cliques et mes claques et que j'aurais été griller mes dernières bougies sur la côte !
ONC'HENRI: Avec moi ?
MAMIE: Faut voir ! [Un temps. Elle le considère longuement] ...T'as une autorisation de tes enfants ?
Rideau.